Le port du Koffia est une pratique importée par les populations venues de la Tanzanie, plus spécifiquement en provenance de Unguja, une des îles de l’archipel de Zanzibar. Cette pratique prend une autre ampleur dans l’archipel des Comores et notamment dans l’île de N’gazidja pour en faire un produit de luxe mais surtout un signe de distinction sociale, brodé, confectionné sur mesure et personnalisé.
Des Koffias venus des pays environnants ont fait leur apparition sur le marché de Volo Volo (Moroni), sortis tout droit des usines chinoises, ils n’ont pas fait long feu. Quelque temps plus tard, est apparu le Koffia comorien made in China qui vient bousculer les habitudes et les mœurs, il désacralise un produit tant convoité par la noblesse locale.
Ce texte met en évidence l’idée selon laquelle, le Koffia made in China n’avait pas pour objectif de prendre la marché comorien du Koffia mais d’asseoir une domination sur un partenariat commercial, tout en pointant deux contradictions.
Les castes comoriennes ont été surprises par une nouvelle loi de l’offre… et de la demande du “Koffia”
Face à l’intrusion des “koffia” made in China sur le marché de Volo Volo, la réaction de l’intelligentsia comorienne a été de considérer cet affront comme une forme de déshonneur à l’égard de l’identité et du patrimoine comorien. Ces produits sont le fruit d’un artisanat local, dont la pratique se transmet souvent de mère en fille, permettant à celles-ci de s’octroyer un peu de revenu. Un patrimoine qui impose une sorte de marque de distinction entre les castes, depuis l’ère du sultanat. Il y’a un rapport presque fusionnel et symbolique entre celle qui confectionne le “Koffia” pendant des semaines et celui qui le porte: la mère, la tante, la cousine, la soeur ou l’épouse peut le confectionner.
De l’autre côté, les consommateurs des Koffias made in China voient ici l’occasion de s’acquitter de la charge onéreuse que constitue ce produit face à un faible pouvoir d’achat. Parce qu’il est souvent porté dans les grandes occasions: le vendredi saint, durant la célébration des mariages et durant les autres fêtes religieuses, il a une valeur qui est bien au-dessus du prix qu’on lui propose sur le marché. Lorsqu’il n’est pas offert par un proche parent, il coûte entre 200,00 et 400,00 €, alors que le salaire moyen aux Comores est de 117,00 €. C’est dire que souvent les hommes comoriens s’endettent pour se procurer ce Graal, afin de manifester leur distinction ou leur ascension dans la société.
La Chine a su pointer certaines contradictions en s’attaquant à un patrimoine national à travers la contrefaçon, au détriment des Koffias Tanzaniens, Somaliens et Djiboutiens, qui avec quelques similitudes, ont tenté de s’introduire sur le marché de Volo Volo mais n’ont pas obtenu le franc succès que bénéficie le made in China. Il s’agissait de montrer, en quoi ce patrimoine repose sur un système de caste qui encourage des inégalités et qui sont aux antipodes des valeurs communistes.
L’absence de marque déposée est une opportunité pour exposer de nouvelles contradictions
Le made in China tient d’une pratique ancienne, provenant des peintres et des calligraphes qui ont fait de l’art de recopier, un véritable produit culturel. Il s’agit d’une tradition ancestrale qui consistait à tout recopier dans le but de ne rien perdre au fil du temps. En effet, l’art calligraphique est bel et bien un instrument de maintien d’un savoir ancestral sans qu’il y ait interruption au niveau de la chaîne de transmission, elle est également une arme pour attaquer le marché commercial occidental. C’est bien pour cette raison que la Chine n’a jamais souhaité signer les conventions internationales de droit à la propriété intellectuelle.
La contrefaçon représente 30% de la richesse nationale ce qui n’est pas négligeable quand on sait que la Chine fait du Branding et de l’innovation, et est classée quatrième devant la France parmi les cinq pays qui ont déposé le plus de brevets durant l’année 2021. C’est en 1984 à Hong-Kong, que les contrefaçons vont prendre de l’ampleur à l’échelle du commerce international, grâce aux financements mafieux pour être revendues en Thaïlande et en Indonésie, elles seront réprimées par le pouvoir communiste. Dans un second temps, avec la réintégration de Hong-Kong dans la Chine communiste en 1997, le pouvoir en place s’est montré plus indulgent envers les contrefaçons. De nos jours, l’exportation connaît une forte croissance avec l’avènement de l’internet ce qui permet d’ouvrir d’autres secteurs, tels que les services et la restauration.
Par ailleurs, on dénombre trois types de contrefaçons en Chine:
- la contrefaçon grossière parce que chargée des erreurs grossières,
- la contrefaçon de qualité qui reproduit les moindres détails dans une usine indépendante et revend à des prix souvent plus élevés par rapport au produit original
- et la contrefaçon identique, fabriqué dans la même usine que le produit original, sont considérés comme des surplus pour être revendus dans le marché noir, cinq fois moins cher.
Il est néanmoins utile de rappeler que la copie n’est pas une invention chinoise mais une activité millénaire qui transcende les civilisations, puisque les romains copiaient le vin grec, le textile européen a inspiré les indiens, puis d’autres inventions comme le thé ont fait l’objet d’espionnage industriel et de contrefaçons. Dans un contexte de guerre économique, on fait le constat que 90% des produits contrefaits proviennent de la Chine et de l’Asie du Sud-Est. Comprenons donc que l’accélération des produits contrefaits a été d’une part encouragée par la délocalisation des industries occidentales, ces dernières pensaient profiter du moindre coût de la main d’œuvre et d’un modèle de management qui conforte leur recherche de rentabilité.
Face à la pression médiatique des défenseurs de la culture comorienne, les agents des douanes se sont présentés pour la première fois, au nom de la protection du patrimoine nationale dans le marché de Volo Volo pour saisir les “Koffias” made in China. Une démarche jugée comme désespérée et qui suscite des interrogations car il aurait sans doute fallu agir au moment où les produits allaient pénétrer les frontières comoriennes.
La deuxième contradiction est que le Koffia comorien n’est pas une marque déposée et ne peut donc bénéficier de la protection du droit international de la propriété intellectuelle, ce qui n’empêche aucunement la commercialisation du “Koffia” made in China. Sans doute une manière d’asseoir sa domination sur les pays dont elle finance les infrastructures. On se souvient de l’épisode où la Chine en 2012, construisait le siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba. C’est seulement après quatre années d’occupation que l’OUA s’est rendue compte que les serveurs étaient saturés entre minuit et deux heures du matin, pour confirmer qu’un autre serveur, situé à 8.000 km, soit à Shanghai, hébergeait toutes les informations stockées au sein de ce bâtiment offert par la Chine, “pays ami”.
Pourquoi une super puissance s’attaquerait à un produit qui est consommé uniquement par une infime partie de la population mondiale, et qui d’ailleurs recouvre en lui des barrières d’identification religieuse et culturelle? N’était-ce pas le moyen pour la Chine de chercher à maîtriser son partenaire commerciale, en s’appuyant sur ses contradictions?
Lors de la conférence interministérielle sino-arabe, le ministre des affaires étrangères comoriens à réaffirmer la volonté de son pays à soutenir la souveraineté chinoise, en adoptant ses normes. En contrepartie, la Chine est le premier investisseur aux Comores avec l’implantation de grandes infrastructures et l’envoie régulier de médecins. Selon Doing Business 2020, le pays a gagné 4 places en se hissant à la 156ème place sur 190 pays.
Dans ce climat de désordre, survenu avec l’arrivée des “Koffias” made in China, les autorités comoriennes, notamment les membres du gouvernement ne se sont pas prononcées face à l’indignation des défenseurs de la culture et de l’identité nationale. La réaction à travers les services des douanes a montré un aveu de faiblesse face à la commercialisation de produits qui n’enfreint en réalité aucune loi. A travers le silence du gouvernement qui inquiète les défenseurs de la culture et les commerçants comoriens, la Chine n’est-elle pas en train d’évaluer les limites de ce qui est non-négociable dans cette entente commerciale?
Faissoil SOILIHI
Sources:
https://www.habarizacomores.com/2022/05/depuis-quand-le-kofia-est-un-produit.html
https://chine.in/actualite/origines-contrefacon-pourquoi-les_51594.html
https://portail-ie.fr/analysis/1187/la-contrefacon-en-chine-une-arme-contre-loccident
https://www.habarizacomores.com/2016/05/la-chine-envisage-dentretenir-des.html
https://export.agence-adocc.com/fr/fiches-pays/comores/investir-3